Guide Neos Syrie Jordanie


Couverture
Titre Guide NEOS Syrie Jordanie
1ère édition Michelin, Paris 1998, 416 pages
Contribution Rédaction intégrale du guide, relevés catographiques de l'ensemble des sites, photographies

Patio de l'hôtel al-Rabia
© 1996 - Yves Traynard  

Qui n'a rêvé de découvrir Pétra, la ville mythique des Nabatéens cachée dans son écrin de pierre moirée, de se promoner au clair de lune entre le colonnades de Palmyre, de se recueillir sur les épais tapis de la mosquée des Omeyyades ?

Ce guide vous entraînera dans le dédale des souks d'Alep et de Damas parmi les senteurs d'épices, vous conseillera l'hôtel agréable où séjourner, le restaurant où déguster le meilleur mezze, le hammam où se délasser, et vous expliquera comment apprécier l'hospitalité des Syriens et des Jordnaiens.

Itinéraires et cartes vous conduiront des sites millénaires d'Ougarit, d'Ebla et de Mari aux cités romaines de Jérash et d'Apamée, des villes mortes byzantines aux forteresses croisées de Kérak, de Marqab, de Saône, du Krak des Chevaliers...

Extrait du guide Neos Syrie Jordanie, couverture

 

Couverture de la 1ère édition

Au café
  Le café traditionnel se porte plutôt bien en Syrie, puisque les jeunes générations continuent à s'y retrouver aux côtés des vieux habitués. Sous la treille de jasmin et de chèvrefeuille, les chaises en bois disposées latéralement tendent leurs bras aux clients. Au café arabe on consomme du thé ou du café, parfois des sodas, mais jamais d'alcool. Plus que la boisson, c'est le jeu qui attire le client. Jeux de cartes ou trictrac, variante du jacquet, dont le déplacement des pièces sur le beau jeu en bois usé constitue, avec le glouglou du narghilé, la seule musique du café. De rares cafés sont encore animés par un conteur. Spectacle féerique où l'assistance reprend en chœur les répliques les plus connues. Les levantines s'attablent rarement au café, mais les voyageuses sont les bienvenues.
 

  Extrait du guide Neos Syrie Jordanie, p. 50

Enseigne de l'hôtel al-Rabia
© 1996 - Yves Traynard

De septembre à décembre 1996 je séjournais à l'hôtel al-Rabia. Cette vieille demeure damascène était devenue ma base pour l'écriture du guide Syrie-Jordanie. Extrait de mon carnet de voyage.

Une fontaine au milieu du patio. Une cour dallée de marbres multicolores autour de la fontaine. Des tables disposées dans cette cour et des chaises de jardin. Un décor simple et beau. Un iwan profond et douillet orné de deux fresques encadre un grand miroir, la montagne et la mer. Une jolie treille ombrage la cour. Le jasmin y mêle ses rameaux aux sarments de la vigne. Exaltation du printemps, amertume de l'automne. Et surtout cette fontaine qui bruit sans fin, source d'apaisement aux heures brûlantes de l'été. 

Douceur du soir, le labeur accompli. On se rassemble autour d'une théière. Mots murmurés plus qu'articulés. Pour ne pas rompre la quiétude du lieu. Les êtres et les choses, en harmonie. Les hauts murs qui abritent les chambres ferment la cour et laissent au loin la rumeur de la ville. Ici on est entre soi, loin des regards dans l'intimité des siens. Dans la maison damascène la vie se passe de voile. 

Mais al-Rabia n'est plus une maison. C'est un hôtel. Plutôt une pension de famille où l'on s'installe pour un jour, un mois, une saison ou une vie. On y vient pour son confort. Oh, pas celui que l'on croit. Car l'hôtel est modeste. Une douche au rez-de-chaussée, deux lavabos ébréchés dans la cour et de vieilles literies. C'est le confort de l'âme que l'on recherche et qui parfois est au rendez-vous. 

Chaque matin Fayçal nettoie la cour, la débarrasse des scories de la nuit. Car ici le marchand de sable est toujours à l'ouvrage. Venu du désert il disperse chaque jour son linceul beige. Et Fayçal, ce grand noir nonchalant et doux s'acharne à le repousser. Combat inégal, comme celui de la vie contre la mort. Fayçal indispensable et discret. Fayçal transmet les messages, Fayçal prépare le thé. Avec le salaire de l'hôtel Fayçal apprend l'espagnol, nourrissant l'espoir de quitter un jour la Syrie. 

Chaque matin, à dix heures, aussi ponctuel qu'un muezzin le propriétaire de l'hôtel s'installe à la réception. Abou Samir, 84 ans est toujours vert ! Chemise et pantalon bleu clair, impeccablement repassés, sa journée ne s'achève qu'après avoir vérifié les comptes et regardé Cassandra le célèbre feuilleton mexicain diffusé à la TV syrienne. 

Depuis plusieurs mois des Burkinabés ont élu domicile dans la grande chambre du premier étage. Ces étudiants en théologie qui se forment à l'ombre du mausolée du grand Ibn-Arabi vivent mal leur exil. La petite communauté repliée sur elle-même est rejetée des Syriens. Chaque soir on échange quelques mots de français, ponctués de «bonne arrivée» le «bienvenue» burkinabé.

Les autres pensionnaires appartiennent au monde du voyage. Aujourd'hui par exemple, Karine nous quitte après un séjour de trois mois en Syrie. Une américaine prend sa chambre, encore étonnée au terme de son premier jour à Damas de ne pas avoir rencontré de terroristes à chaque coin de rue. Youssef, un Allemand qui apprend l'arabe avec une facilité déconcertante nous revient d'une courte virée dans le pays tout content de retrouver «son» patio. Abdoul-Hamid, le guide francophone de Hama, toujours à l'affût de touristes à accompagner, toujours de bon conseil, s'essaie à la photographie. Et tout ce petit monde de s'apostropher par des kifak, des salam, des marhaba, des choukran et des afouan.

Le soir, c'est au tour des étudiants syriens de venir converser un peu en anglais. Nidal est le plus assidu. Il ne manquerait pour rien au monde ces soirées. Inscrit à un cours de tourisme il est convaincu que la fréquentation des étrangers est la meilleure école pour se perfectionner en anglais. Et le patio de se transformer en salon de voyageurs, cours de langue où chacun parle de ses découvertes, de ses rencontres, de son pays dans une joyeuse fraternité. J'allais oublier Tarek très fier de son frère, un peintre de talent et grand calligraphe qui a déjà exposé à l'étranger.

Pourtant, dans l'insouciance, cette belle demeure du XVIIe s. du quartier Sarouja vit peut-être ses dernières heures. Le quartier est menacé par les promoteurs. Mais les habitants font front. Qu'adviendra-t-il de ce coin du vieux Damas ?

Quand la vigne de la treille perdra ses feuilles annoncant l'arrivée de l'hiver il me faudra partir. Laisser à d'autres le plaisir de ce lieu. Et gagner le droit de revenir.

Et même si le tourbillon de la vie m'éloigne de Damas je n'oublierai jamais que ce soir de septembre 1996 j'ai entrevu le reflet du paradis dans le murmure de la fontaine de l'hôtel al-Rabia.

Extrait du guide Neos Syrie Jordanie, p.59, aquarelle de J. F. Galmiche
Les musiciens du restaurant Aboul-Ezz à Damas


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